#39 — Vie et mort du Bitcoin

#39

En 2016, le lanterneau parisien s’est littéralement enflammé pour une technologie vieille de huit ans, la blockchain. Cet enthousiasme monta jusqu’au Sénat où des journées d’étude furent proposées. L’image pouvait prêter à sourire tant les locataires du Palais du Luxembourg ont plutôt du mal à comprendre le fonctionnement de leur smartphone. Pourquoi donc un tel engouement ? Naïvement, on aurait pu penser que les sénateurices s’intéressait enfin à la philosophie de son créateur, l’étrange Satoshi Nakamoto : la blockchain allait révolutionner Internet, voire le sauver, en lui redonnant sa force centrifuge; la confiance reviendrait grâce à la désintermédiation ; la neutralité du net serait préservée, etc. Que nenni, s’iels se sont intéressé.e.s à cette technologie, c’est parce que le secteur bancaire et financier entamait sa révolution copernicienne, en réfléchissant sérieusement aux bénéfices qu’il pourrait bénéficier de la blockchain.

Peu se souciaient alors de la crypto-monnaie que sous-tendait la technologie.

Autant dire que cet enthousiasme fut éphémère.

En revanche, le Bitcoin et ses petits frères, l’Ethereum et le Ripple, ont attiré de plus en plus les regards. Surtout le Bitcoin. Il y eut un premier choc fin 2018, où les cours de la crypto-monnaie s’envolèrent pour rechuter un mois après.

Lorsque Elon Musk annonça en début d’année que désormais on pouvait acheter une Tesla avec du bitcoin, je me suis posée la question de l’intérêt d’une telle politique ? Voulait-il raréfier la circulation de la crypto-monnaie, sachant que le volume en avait été dès l’origine plafonné par son créateur et ainsi briser toute future spéculation en laissant les miettes aux autres ? Bref en clair, organiser la rareté du bitcoin ou bien était-ce autre chose ? Toujours est-il que le jour où il a annoncé que c’était fini, le cours a sérieusement dévissé.

Bonne lecture !

Dominique

Les Dolomites. Tre Cime Lavaredo.

Les crypto-monnaies sont-elles à bout de souffle ? Le leader du peloton, le bitcoin, a perdu près de la moitié de sa valeur depuis qu’il a atteint un sommet historique à la mi-avril, et d’autres se sont également effondrés à la suite de la décision du gouvernement chinois de réprimer toutes les transactions liées aux crypto-monnaies. La Securities and Exchange Commission a également annoncé une surveillance plus stricte. Malgré les fluctuations du marché, les défenseurs des crypto-monnaies continuent de les considérer comme une solution idéale générée par le marché, alors que des questions se posent sur la viabilité future de la monnaie fiduciaire dans une économie mondiale caractérisée par un endettement vertigineux. Les enthousiastes du Bitcoin, de l’Ethereum et d’une foule d’autres crypto-monnaies semblent penser que les merveilles de la technologie financière du 21e siècle (aka les fameuses « fintech ») permettront à ces créations numériques de servir de réserves de valeur alternatives hors du contrôle de nos banques centrales, dont les actions dévaluent régulièrement les monnaies papier traditionnelles.

Un discours séduisant, certes, mais correspond-il à la réalité ? Ironiquement, les crypto-monnaies partagent de nombreuses caractéristiques que leurs adeptes décrient dans les monnaies créées par les gouvernements. Comme nos monnaies traditionnelles – le dollar, le yen, la livre ou l’euro – créées par un gouvernement « fiat », les crypto-monnaies ne sont soutenues par rien. Les participants échangent effectivement un dollar ayant cours légal ou un autre actif réel contre un jeton créé numériquement, qui n’a aucune valeur ou rendement intrinsèque (et dont l’offre est artificiellement contrôlée par un algorithme informatique complexe). En outre, la création de ces monnaies a un coût environnemental (certaines plus que d’autres) ; elles s’échangent en dehors d’un système financier réglementé, ce qui les rend propices à la fraude (par exemple, le piratage des portefeuilles de crypto-monnaies des investisseurs pour les voler, la création de faux portefeuilles pour escroquer les contreparties ou la création de faux échanges de crypto-monnaies pour voler l’argent des clients), au blanchiment d’argent et à l’évasion fiscale.

Même en tant que moyen d’échange, l’utilisation des crypto-monnaies est imprévisible. Depuis quelques semaines, vous ne pouvez plus utiliser le bitcoin pour acheter une Tesla, moins de deux mois après qu’Elon Musk ait contribué à alimenter davantage une nouvelle frénésie spéculative sur le marché lorsqu’il a annoncé que sa société accepterait le bitcoin comme moyen de paiement. Le plongeon qui en a résulté met en évidence un problème lié à l’utilisation de ces jetons numériques comme réserve de valeur alternative (à moins, bien sûr, d’être un criminel aux options limitées). Il met également en lumière un autre problème soulevé par les experts : « Le coût et le temps nécessaires pour valider les transactions en bitcoins les rendent inutilisables dans les transactions de détail. » En résumé, si vous souhaitez acheter une baguette avec du bitcoin, il faut en moyenne 7 minutes pour que la transaction se fasse, autant dire que ce n’est pas demain la veille que vous ferez vos courses avec.

Le changement d’avis de Musk intervient alors que le coût environnemental des crypto-monnaies est de plus en plus mis en avant : « L’extraction » (ou le minage) de crypto-monnaies est encore pire que l’extraction traditionnelle. Ainsi, « le bitcoin produit à lui seul 36,95 mégatonnes de dioxyde de carbone (CO2) par an (comparable à la Nouvelle-Zélande) et on estime qu’en 30 ans, le bitcoin pourrait à lui seul augmenter les températures mondiales de 2 degrés Celsius. »

Si l’on n’y prend garde, le minage est appelé à se développer (et par conséquent à causer davantage de dommages à l’environnement) à mesure que son utilisation se répand. Il existe de nombreux termes péjoratifs que l’on peut attribuer aux banquiers centraux qui font de l’argent facile, mais celui de « vandale environnemental » en fait rarement partie.

Quant à la technologie qui sous-tend la crypto-monnaie, les banques centrales s’approprient de plus en plus la technologie numérique pour leurs propres monnaies « papier ». Ce faisant, elles tentent de plus en plus de réglementer l’utilisation des crypto-monnaies. La Banque populaire de Chine, par exemple, vient d’annoncer un renforcement des restrictions visant à interdire aux institutions financières et aux sociétés de paiement de fournir des services liés aux crypto-monnaies, marquant ainsi une nouvelle répression de la monnaie numérique. D’autres pays – comme l’Algérie, la Bolivie, le Maroc, le Népal, le Pakistan et le Vietnam – ont déjà interdit les crypto-monnaies au motif qu’elles permettent aux criminels et aux organisations terroristes de déplacer des valeurs dans le monde entier, à l’abri des regards des gouvernements nationaux et des forces de l’ordre. Dans le même temps, le président de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell, a également annoncé qu’il envisageait une éventuelle version numérique du dollar qui serait contrôlée par la banque centrale américaine (ce qui laisse entendre qu’elle souhaite s’approprier la technologie mais conserver le contrôle des monnaies).

Du point de vue des experts non-fintech, une différence cruciale et précieuse réside dans le fait que les monnaies émises par les banques centrales présenteront l’avantage supplémentaire d’être émises et réglementées par l’autorité monétaire compétente du pays émetteur. Les monnaies numériques créées par les banques centrales constitueraient simplement une version numérique de ces mêmes monnaies auxquelles nos populations ont appris à faire confiance. Pensez au courrier électronique par rapport au courrier postal physique. Les transactions seraient instantanées, mais toujours sûres car les débits et crédits électroniques seraient toujours contrôlés et surveillés par les banques centrales.

Un nouvel effondrement de la valeur des crypto-monnaies risque-t-il de faire s’effondrer le système financier comme l’ont fait, par exemple, les titres adossés à des créances hypothécaires en 2008 ? Pas nécessairement.

Les bulles financières seront toujours là. Parfois, elles laisseront un héritage d’actifs productifs (par exemple, les chemins de fer au XIXe siècle, ou le haut débit et la vaste expansion de l’internet dans le sillage de la bulle Internet des années 1990). Si l’on en juge par la résilience comparative des marchés financiers à la suite des récentes chutes importantes de nombreuses crypto-monnaies de premier plan, ces dernières ne semblent pas encore avoir infecté le système de crédit au sens large. Mais si on les laisse faire, elles pourraient bien le faire, et c’est pourquoi nous devrions applaudir les mesures prises par nos autorités monétaires et nos régulateurs pour les mettre au pas.

Du côté positif, les crypto-monnaies pourraient bien avoir accéléré l’expansion des banques centrales dans les monnaies numériques. Cette innovation spécifique pourrait être très bonne pour notre économie, car nos transactions deviennent de plus en plus virtuelles et électroniques. Mais en s’appropriant de manière proactive la technologie numérique, tout en réprimant relativement rapidement les crypto-monnaies créées à titre privé et non réglementées, les régulateurs financiers sont susceptibles d’empêcher ces instruments d’infecter notre système de crédit, atténuant ainsi les vastes dommages collatéraux qui en découlent.

Cependant, nous sommes loin de la philosophie voulue par Satoshi Nakamoto. Si le bitcoin fut créé au lendemain de la crise financière de 2008, ce fut pour une bonne raison : de redonner aux citoyen.ne.s le contrôle de leur monnaie et de leur argent et de ne plus dépendre d’un système bancaire centralisé. Le bitcoin se voulait être un outil démocratique et un formidable outil d’éducation populaire, mais comme toute technologie, le revers de la médaille n’est guère reluisant. Parce qu’il fut mal conçu, l’esprit originel a été dévoyé, empêchant encore une fois les citoyens à prendre part et à contrôler leur souveraineté économique.

En bref

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