#42 – Twitter, fin de partie

De tous les réseaux sociaux, Twitter reste une énigme, plus de 16 ans après sa création. Personnellement, c’est celui dont j’ai le plus de mal à me défaire. J’ai quitté la sphère Facebook (Instagram inclus) sans état d’âme depuis 18 mois ; je me fiche pas mal de Linkedin et laisse volontiers SnapChat et Tik Tok aux autres. Mais je reste attachée à Twitter.

J’ai toujours aimé, en fait, l’indépendance de ce réseau social. Car depuis sa création, l’oiseau bleu sera passé par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et aura suscité des convoitises diverses et variées. Réseau à la fois fantasque et sérieux, Twitter est certainement l’acmé des réseaux sociaux, celui qui aura certainement presque réussi à trouver un équilibre (très) précaire entre respect de la liberté d’expression et son encadrement. Et pourtant, Twitter reste fragile. Très très fragile.

Le dernier épisode en date avec la volonté d’Elon Musk de racheter cette entreprise est à l’image de son histoire. Car, que vient faire le milliardaire dans cette galère ? Je parlais d’énigme en tout début. Depuis 16 ans, Twitter a la réputation de ne pas avoir réalisé son potentiel et de pouvoir être bien plus. Twitter ? c’est ce réseau mondialement connu mais peu utilisé, qui a du succès financièrement mais ne roule pas sur l’or, qui est parfois géré de manière compétente mais aussi de façon chaotique, et surtout un réseau extrêmement influent, beaucoup plus que n’importe quel autre réseau social. A tel point influent que c’en est terrifiant, mais aussi très excitant, chaque prise de décision du réseau social étant scrutée, décortiquée et commentée. Contrairement à Facebook qu’on aime détester, Twitter jouit d’une image plus positive. Pourquoi ? C’est en fait assez simple : on ne l’a jamais accusé d’influencer de manière rédhibitoire le jeu démocratique américain.

L’histoire de Twitter n’a pas commencé le jour où ils ont viré Donald Trump, alors Président des États-Unis. Depuis ses débuts, il brille de mille feux et cette flamme perpétuelle pousse de nombreuses personnes à envisager de racheter l’entreprise pour qu’enfin, elle réalise son plein potentiel. Beaucoup le veulent mais personne ne veut vraiment en devenir propriétaire.

Que l’on soit accro (comme moi) à ce réseau social ou pas du tout, le rachat de Twitter est un acte politique important, peut-être le plus important de ces dernières années. De par sa nature et de par ce qu’il est devenu, il est devenu un espace public que tous les dirigeant.e.s du monde entier admirent, craignent et veulent absolument contrôler. Un espace sur lequel journalistes, chercheur.e.s, artistes et quidam s’interpellent, règlent leurs comptes mais aussi échangent. Des gens comme Elon musk, vous et moi. Tout ça dans une apparente et égale prise de parole. Je dis bien apparente car les deux principales fonctionnalités d’engagement que sont le RT et le like nous bercent dans l’illusion complètement factice que ma voix vaut celle d’Elon Musk.

En mettant un panneau “A vendre !” sur l’entreprise, ce dernier joue un jeu dangereux. Et même si hier, le board a décidé d’engager des pourparlers avec le milliardaire, nul ne sait ce qui va se passer. Peut-être, réussira-t-il à acheter Twitter ; peut-être qu’un autre milliardaire le fera ; peut-être qu’une entreprise de la tech s’y intéressera ; et peut-être que rien de tout cela n’arrivera. Car tel est le destin de Twitter, vivre dans l’incertitude est devenu, au fil du temps, sa marque de fabrique. On ne compte plus les histoires de rachat qui ont égrené son histoire.

De fait, depuis que j’y suis, il n’y a pas une année où Twitter n’est pas en vente. Contrairement à ses concurrents, l’actionnariat de Twitter ressemble à un empilement de couches d’oignon et c’est dû en partie à ses différents appels publics à l’épargne. Business angels, fonds d’investissement, banquiers et divers hommes d’affaire sont actionnaires de Twitter… mais la composition est telle qu’en fait aucun n’a un droit de veto et étonnamment, les fondateurs n’en ont absolument pas (cf le graphique ci-dessous). Bref, Twitter est une entreprise soumise à la fois aux quatre vents et à la volonté de son actionnariat. Certains s’étonnaient de la prise de participation rapide d’Elon Musk, mais quand on regarde la répartition des parts entre les actionnaires, il n’a fait que ramasser à la pelle les actions qui circulaient.

Et puis, il y a aussi cette tenace croyance que Twitter devrait être autre chose de ce qu’il est. Il ne manque pas de personnes qui pensent que tout ce dont Twitter a besoin, c’est d’un correctif – une fonction d’édition, une gestion différente, un nouveau type d’ossature technologique, un changement de stratégie publicitaire, une réduction des dépenses et des ajustements de l’application. D’autres se plaignent régulièrement que Twitter censure trop ou trop peu et les investisseurs s’agacent de voir que l’entreprise ne gagne pas assez d’argent.

L’influence culturelle de Twitter est pourtant tout aussi importante que celle de Facebook… Mais sa taille ne représente qu’un vingtième de l’entreprise de Mark Zuckerberg. Des personnes et des entreprises qui ont examiné de près l’achat de Twitter ont pour la plupart été effrayées. En 2016, Disney a renoncé à son projet de rachat, en partie parce que les dirigeants craignaient de ternir l’image familiale de l’entreprise si elle possédait une application de médias sociaux indisciplinée. Le patron de Salesforce, Marc Benioff, a changé d’avis lorsque les investisseurs de Salesforce ont détesté l’idée qu’un éditeur de logiciels d’entreprise puisse posséder Twitter.

En 2012, les rumeurs enflaient sur le rachat de Twitter par Google, etc. etc. etc. Bref, l’histoire du rachat de Twitter est un long serpent de mer.

Qui y-a-t’il donc de différent avec la volonté d’Elon Musk de racheter l’entreprise ? Chaque jour, il tweete les réformes qu’il voudrait y apporter et l’une d’entre elles a retenu mon attention : celle de rendre l’algorithme open-source. A première vue, on ne sait pas trop ce qu’il veut dire par là et surtout où il veut en venir. Car il n’y a pas un algorithme mais plusieurs et de plus, comme le souligne dans le Washington Post, Reed Albergotti : ce n’est pas si simple que ça.

Musk’s proposal probably represents a gross oversimplification of how it would work to make that data public, according to researchers who study recommendation algorithms. As social media companies have grown, the software that drives their recommendation engines have grown so sprawling and complex that analyzing it would require access to a fire hose of data so immense that most people wouldn’t even have access to a computer powerful enough to analyze it. The algorithms at Twitter, Facebook and other social networks process billions of pieces of content and use myriad datapoints to determining a ranking, from the popularity of a post to the person who posted it.

“The algorithm is not one thing,” said Nick Seaver, an assistant professor of anthropology at Tufts who researches the algorithms that drive recommendation engines. The systems are so complex, he says, that tech companies themselves often find it difficult to know why their software showed a user one post over another.

“The people inside Twitter want to understand how their algorithm works, too,” he said.

Et puis, je me suis souvenue d’une chose. En 2014, Elon Musk avait annoncé que Tesla passait ses brevets en open-source. Le milliardaire l’expliquait ainsi : « Tesla Motors a été créé pour accélérer l’avènement d’un transport durable. Si nous dégageons le chemin vers la création d’une voiture électrique attirante, mais que nous posons des mines de propriété intellectuelle derrière nous pour dissuader les autres, nous agissons de façon contraire à cet objectif« .

Pour éviter la déroute industrielle, il le fit étape par étape et en 2019, tous les brevets de Tesla étaient en open source. Il est à parier que pour Twitter, il fera de même. Déjà pour laisser le temps aux développeurs de démêler ce qu’ils ont conçu ou bien tout simplement de concevoir à nouveau un ou plusieurs algorithmes qui remplaceraient les actuels… Bref re-bâtir un Twitter différent de celui que nous connaissons actuellement, tout en respectant un esprit originel (lequel ?).

Si on a appris quelque chose tout le long de ces années avec Elon Musk, c’est de ne plus le prendre pour un hurluberlu. S’il désire rendre le(s) code(s) source(s) de Twitter publiques, il y arrivera. Ce qui pourrait le freiner, ce n’est ni l’argent, ni le temps. Il en a plein mais les autorités gouvernementales qui pourraient voir d’un mauvais œil la prise de contrôle d’un outil tel que Twitter par un milliardaire et de favoriser, de fait, le retour de Donald Trump, à quelques mois des élections du mi-mandat et à 2 ans et demi des Présidentielles américaines.

Autre chose qui pourrait le freiner, c’est aussi la forte culture d’entreprise au sein de l’entreprise. Depuis des années, le réseau social a mené une politique intersectionnelle en recrutant dans ses équipes des femmes, des membres des minorités éthniques et de genres. Il ne peut résolument pas virer tout le monde (même s’il souhaite réduire fortement la masse salariale), et comme il n’arrive pas en terrain conquis (loin de là) un rapport de force va donc s’instaurer. Et contrairement aux salarié.e.s de Facebook qui ont mis du temps à se rebeller (mollement) en interne, ceux et celles de Twitter mèneront un tout autre combat. Du moins, on peut l’espérer.