#27 —💲Amazon first


#27

Dans ce numéro :
→ La pieuvre Amazon
→ La vision à long terme de Jeff Bezos
→ En bref
Je dois vous confesser une fascination, celle que j’éprouve envers Amazon et son PDG Jeff Bezos depuis des années. Une fascination qui s’est construite au fil du temps, depuis ma première commande sur le site marchand jusqu’à mes interrogations sur ce méga-empire. Même encore aujourd’hui, alors que je me suis complètement dés-amazonisée, cette entreprise m’interpelle à bien des égards.
En 2016, le journaliste David Streitfeld écrivait dans le New York Times : « Amazon is in the middle of an ambitious multiyear shift from a store selling one product at a time to a full-fledged ecosystem. Amazon wants to be so deeply embedded in a customer’s life that buying happens as naturally as breathing, and nearly as often. »

Quatre ans plus tard, force est de constater qu’Amazon a réussi cette incroyable mutation. Par petites touches impressionnistes, la firme de Seattle s’est installé dans nos vies quotidiennes. Des GAFAM, Amazon a une structure capitalistique différente d’Apple et de Google (Facebook et Microsoft sont hors course). Ainsi, après la mort de Steve Jobs, Apple a adopté une approche centrée actionnaire, tandis que Google, avec Alphabet, verrouillait une approche centrée fondateur. Et Amazon ? Jeff Bezos applique depuis les conceptions d’un de ses maîtres à penser, Peter Drucker, peu connu en France, principal théoricien du management d’entreprise et de l’innovation systématique, qui disait en 1954 dans The Practice of Management : « The only valid purpose of a business is to create a customer. »

Depuis le début de sa création, le client est la seule véritable obsession de Jeff Bezos. Et qu’importe où qu’il soit, qu’importe les pratiques, il faut aller le chercher… et le fidéliser. De par la puissance commerciale et financière, Amazon impose sa loi du marché et a fait en sorte de devenir incontournable pour le consommateur !

L’entreprise américaine n’a jamais caché ses intentions, elle l’écrit même noir sur blanc dans sa présentation : L’entreprise Amazon est guidée par quatre principes : l’obsession client plutôt que l’attention portée à la concurrence, la passion pour l’invention, l’engagement en faveur de l’excellence opérationnelle et la réflexion à long terme. Tout est (pratiquement) dit !
Bonne lecture !

Dominique

La danse des canards

La pieuvre Amazon


Aujourd’hui, il est encore difficile d’évaluer la taille et l’influence d’Amazon dans le monde. En moins de 25 ans, l’entreprise américaine est passée du statut d’une simple librairie en ligne à celui d’un mastodonte qui pèse plus de 1500 milliards de dollars. Elle rejoint le cercle très fermé des entreprises ayant atteint cette taille : Apple et Microsoft. Cependant, autant l’influence de ces deux firmes dans notre vie quotidienne reste assez limitée, autant celle d’Amazon est plus subtile. En deux décennies, la firme de Seattle n’est plus seulement le géant du commerce électronique, mais elle est devenue une puissance dans le divertissement, la logistique, le transport, la mode, la distribution alimentaire, le cloud et les données (pour ne prendre que les plus emblématiques).

Son offre commerciale est tout simplement la plus diversifiée au monde. Et son ambition ne s’arrête pas à ces secteurs, elle a l’intention d’investir de plus en plus dans la santé et l’éducation, comme nous le verrons ci-dessous, tout en gardant un oeil sur le secteur bancaire.

En s’intégrant pleinement à la vie des consommateurs, Amazon a transformé les attentes en matière de shopping. La livraison gratuite est désormais une norme. Et la possibilité de livrer en deux heures est quasiment devenue une nécessité, et non plus un luxe, grâce au service Amazon Prime Now, gratuit pour les clients qui souscrivent au service Prime. Quand les concurrents peinent à rattraper leur retard, Amazon développe en très peu de temps ses différentes initiatives pour faire partie intégrante de la vie des consommateurs.


Prenons l’exemple d’Amazon Echo, en un peu moins de trois ans, l’assistant vocal s’est vendu comme des petits pains et la voix conviviale de son assistant personnel Alexa a normalisé le commerce vocal, là où dans le même registre, Google a échoué. La petite guerre commerciale qui oppose les deux géants est par ailleurs assez amusante à suivre. Quand l’un refuse quelque chose à l’autre, l’autre riposte aussitôt. Pour l’instant, à ce petit jeu, Amazon est gagnant.

En toute naïveté, on pourrait penser que la vision hégémonique d’Amazon s’arrêterait à la porte de nos vies de consommateur.rice. Eh bien non ! Comme toute puissance, Amazon n’hésite pas à avancer ses pions pour influer la vie politique locale. Plusieurs fois, la firme de Seattle a tenté d’évincer politiquement des opposants qui commençaient à lui faire de l’ombre.

Seattle est la maison d’Amazon. A l’instar de Microsoft, dont le siège social est à Redmond, dans la banlieue de Seattle, Amazon n’a rien à voir, de loin ou de près, avec les trublions de la Silicon Valley. Seattle est une ville démocrate, tout comme l’Etat de Washington, depuis des décennies. C’est aussi l’Etat et la ville qui comptent le plus d’élu.es écologistes du pays. Aussi lorsque le conseil municipal de Seattle adopta une taxe ciblant les sociétés les plus riches de la ville pour financer des logements pour les sans-abris, il fallut moins d’un mois à Amazon pour la faire abroger, en utilisant des menaces économiques.


Mais ce ne fut pas suffisant, aux yeux de Jeff Bezos. En 2019, Amazon dépensa plus d’1,5 millions de dollars lors des élections municipales pour faire élire une liste de personnes favorables à l’entreprise. Le but affiché était aussi d’évincer leur plus farouche adversaire, Kshama Sawant, une proche de Bernie Sanders, conseillère municipale depuis 2013. Echec sur toute la ligne. Non seulement ce lobbying politique intense n’a pas réussi à faire perdre la candidate socialiste, mais a aussi échoué dans sa tentative de prise de contrôle du conseil municipal.

Vous me direz aux États-Unis, une telle attitude des grandes entreprises est monnaie courante. Oui, en effet, mais la différence est ici flagrante, avez-vous déjà vu des candidats pro-Coca ou pro-Wall Mart s’afficher ouvertement et publiquement ainsi ?

La vision à long terme de Jeff Bezos

Depuis 1997, Jeff Bezos écrit une lettre à ses actionnaires. Dans un style bien particulier, cet exercice vaut le coup d’oeil, soit par simple curiosité, soit parce qu’un jour, vous désirez devenir entrepreneur. Elle détaille les réussites et les échecs de l’entreprise, mais surtout ses enjeux. Dans sa dernière livraison, Jeff Bezos explique comment la société a réagi face à la pandémie. Le fondateur d’Amazon y expose clairement sa vision de la pandémie, de comment les salarié.es et les partenaires de la marque doivent être protégé.es.

Depuis quelques années, il investit dans le domaine de la santé et cette pandémie est l’occasion d’enfoncer le clou : Partout dans le monde, les clients ont tiré parti du cloud pour étendre les services et mettre en place des réponses au COVID-19. Nous avons rejoint la Coalition COVID-19 de New York pour développer un agent conversationnel permettant aux New-Yorkais à risque et aux personnes âgées de recevoir des informations précises et opportunes sur les besoins médicaux et autres. En réponse à une demande du Los Angeles Unified School District de faire passer 700000 élèves à l’apprentissage à distance, AWS a aidé à établir un centre d’appels pour répondre aux questions informatiques, fournir une assistance à distance et permettre au personnel de répondre aux appels. Nous fournissons des services cloud au CDC pour aider des milliers de praticiens et cliniciens de la santé publique à collecter des données relatives à COVID-19 et à éclairer les efforts de réponse.

Plus loin dans sa lettre, il poursuit : En suivant les directives du CDC, notre équipe de santé Alexa a construit une expérience qui permet aux clients américains de vérifier leur niveau de risque de COVID-19 à la maison. Les clients peuvent demander: « Alexa, que dois-je faire si je pense avoir COVID-19? » ou « Alexa, que dois-je faire si je pense avoir un coronavirus? » Alexa pose ensuite une série de questions sur les symptômes et l’exposition possible de la personne. Sur la base de ces réponses, Alexa fournit ensuite des conseils provenant du CDC. Nous avons créé un service similaire au Japon, sur la base des conseils du ministère japonais de la Santé, du Travail et des Affaires sociales.

A ceux et celles qui possèdent Echo, avez-vous déjà fait le test de demander à Alexa ces informations ?

La première partie est donc consacrée aux réactions de l’entreprise face au covid… Mais la partie la plus intéressante est la deuxième, intitulée sobrement « Au-delà du covid ». Tel un rouleau compresseur, Bezos explique sa vision dans un style particulièrement limpide, en commençant par un petit rappel : Bien que ces temps soient incroyablement difficiles, ils nous rappellent que ce que nous faisons en tant qu’entreprise peut faire une grande différence dans la vie des gens. Les clients comptent sur nous pour être là et nous avons la chance de pouvoir vous aider. Avec notre envergure et notre capacité à innover rapidement, Amazon peut avoir un impact positif et être une force organisatrice de progrès.

L’actuelle obsession du patron d’Amazon est le climat… ça peut prêter à sourire quand on sait qu’Amazon vend chaque année plus de 10 milliards de marchandises, qui génèrent beaucoup de déchets, mais son objectif est de faire d’Amazon la première entreprise complètement décarbonée… d’ici 2040, soit dix ans plus tôt que le délai fixé par les accords de Paris. Et pour y arriver, il trace le chemin : transport décarboné (Amazon va investir dans les camions de livraison électriques), énergies renouvelables (Amazon investit dans l’éolien et le solaire), moins de déchets (la R&D a pour mission de réduire les déchets d’emballage), etc.

La deuxième obsession de Jeff Bezos ? L’éducation : Pour garantir que les générations futures possèdent les compétences dont elles ont besoin pour prospérer dans une économie axée sur la technologie, nous avons lancé l’année dernière un programme appelé Amazon Future Engineer, qui est conçu pour éduquer et former des jeunes à faible revenu et défavorisés à poursuivre une carrière en informatique. . Nous avons un objectif ambitieux: aider des centaines de milliers d’étudiants chaque année à apprendre l’informatique et le codage. Amazon Future Engineer finance actuellement des cours d’introduction à l’informatique et d’informatique AP pour plus de 2 000 écoles dans des communautés mal desservies à travers le pays. Chaque année, Amazon Future Engineer offre également 100 bourses d’études universitaires de 40000 $ sur quatre ans à des étudiants en informatique issus de milieux modestes. Ces boursiers reçoivent également des stages garantis et rémunérés chez Amazon après leur première année de collège. Notre programme au Royaume-Uni finance 120 apprentissages en génie et aide les étudiants issus de milieux défavorisés à poursuivre une carrière technologique.

Impressionnant ? Oui.
Inquiétant ? Oui.

Et ce d’autant plus, que Jeff Bezos termine ses lettres toujours avec la même sentence : As always, I attach a copy of our original 1997 letter. It remains Day 1.

It remains Day 1.

Jeff Bezos a toujours faim, il n’est pas rassasié et si certain.es en doutent encore, ils devraient lire cette lettre.

Il est temps de démanteler Amazon.

En bref

→ Un atlas mondial de la nourriture : cherchez un lieu et découvrez les restaurants et plats typiques.
→ The Anti-Browser
→ Un site sur les monstres marins, Cthulhu n’a qu’à bien se tenir