
#21
Dans ce numéro :
→ L’Université de la Pluralité : mobiliser nos imaginaires pour explorer d’autres futures
→ Et si le What If était un outil d’historien ?
→ En bref
Lorsque je fais de la veille, j’ai la mauvaise habitude de laisser mes onglets de navigateur ouverts. Je passe ainsi de texte en texte inspirant (ou pas), de vidéo en vidéo, de son en son, d’image en image. Je me retrouve, en fin de journée avec quelques centaines de pages ouvertes et plein d’idées que je note dans mon petit jardin numérique.
En ce début de semaine, mes pérégrinations virtuelles m’ont ramené vers l’essai de Corinne Morel-Darleux, Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, qui traînait sur ma PàL depuis un an. Je l’ai fini en une nuit. Dans cet essai, à la fois littéraire, engagé, parfois philosophique, éminemment politique et écologique, l’auteure livre une réflexion sur notre rapport au sensible, doute notre capacité à restaurer notre dignité du présent et le refus de parvenir pour éviter le naufrage annoncé.
Elle y questionne notre quotidien, convoque à notre chevet Les Racines du Ciel de Romain Gary, La Disparition des Lucioles de Pier Paolo Pasolini, tout en invoquant les aventures du navigateur Bernard Moitessier, qui, en 1989, proche de gagner le premier Globe Challenge, refusa de franchir la ligne, pour fuir la société de consommation. Cet essai n’est pas un réquisitoire aride, bien au contraire.
Corinne Morel-Darleux nous invite à faire le petit pas de côté, à poser les valises et d’aider grâce à l’Art et aux imaginaires, notamment de science-fiction, ceux et celles qui ont du mal à saisir l’imminence de la catastrophe, . Comme elle le dit justement, dans ce monde, où on a sciemment parcellisé nos consciences et nos individualités, si les études scientifiques et les appels des experts ne nous ont pas mobilisé massivement pour changer le monde, c’est qu’il y a un déficit émotionnel, sensible voire spirituel. Pour le combler, un rien peut suffire : contempler à la nuit tombante les lucioles, marcher au bord d’un ruisseau, sentir sous ses pieds l’herbe et lire un bon roman de science-fiction.
Bonne lecture !
— Dominique
PS : La semaine prochaine aura lieu Ethics by Design, l’événement que je co-organise avec la joyeuse équipe de Designers Ethiques, il n’y aura pas donc de numéro de Futuromium, rendez-vous donc le 7 octobre !

Amanuel Tsegaye – Addis Abeba – Ethiopie
L’Université de la Pluralité : mobiliser nos imaginaires pour explorer d’autres futurs
Les années 2020 et 2021 seront marquées de deux pierres blanches pour tous les amoureux de la science-fiction : le 23 décembre sortira sur nos grands écrans Dune de Frank Herbert, réalisé par Denis Villeneuve et courant 2021 sortira l’adaptation en série de Fondation d’Isaac Asimov. Ces deux romans majeurs de la SF ont nourri l’imagination de millions de jeunes gens et jeunes femmes pendant des décennies. En imaginant des civilisations aux systèmes complexes, les deux auteurs américains ont posé les jalons nécessaires pour nous faire réfléchir aux futurs possibles, ils nous ont aidé à nous projeter et à mieux saisir la complexité des relations humaines et des conséquences de nos actions.
La puissance narrative de ces deux romans a sûrement fait rêver des petits garçons à être Paul Atréides ou Hari Seldon, les petites filles à intégrer les Bene Gesserit, à chevaucher des vers de sable, à prédire le futur grâce à la psychohistoire… et à prendre déjà conscience de certains combats écologiques.
Comme souligné dans mon introduction, l’une des forces de l’essai de Corinne Morel-Darleux est de ne pas considérer la science-fiction comme un simple vecteur de divertissement et d’évasion. Elle souligne avec justesse que la littérature de fiction (et l’Art, en règle général) a un énorme potentiel politique et de subversion. Nous avons besoin de faire renaître sous les mots des héros et héroïnes, des utopies, des rêves de rencontres galactiques, de récits, de défis interstellaires, des systèmes complexes dans lesquels nous pouvons nous projeter et éprouver nos sens.
En France, sous l’égide de Daniel Kaplan (co-fondateur de la FING) et de 50 artistes et designers de tous pays, cet espace existe depuis presque deux ans. Grâce à des rencontres et ateliers, l’Université de la Pluralité s’est donné pour défi de se ré-approprier un imaginaire, nos imaginaires, trop vampirisés, à l’heure actuelle, par la technocratie américaine et chinoise. Depuis le début de l’année, les initiatives se multiplient à imaginer le futur de la mobilité, le futur de la relation, le futur de l’entreprise et bientôt le futur du futur. Le programme U+Zine nous fait sortir des schémas habituels de la prospective en nous permettant d’emprunter les chemins de la fiction écrite, des auteur.e.s de science-fiction et des artistes viennent nous aider à exprimer, autour des thèmes listés ci-dessus, notre vision du futur. Il ne s’agit pas ici de design fiction à proprement parler (et surtout pas celle dénaturée que les entreprises voudraient nous faire croire) mais de véritables mots qui viennent se superposer aux statistiques et aux signaux faibles.
A rebours des grands récits médiatiques dont nous nous abreuvons depuis la chute du Mur, l’Université de la Pluralité nous invite à ne plus croire à la Fin de l’Histoire et à TINA, en nous donnant les clefs pour imaginer d’autres récits pour tout d’abord nous régénérer et ensuite avancer.
Et si le What If était un outil d’historien ?
Le What If (en français l’uchronie) est un sous-genre de la science-fiction. Très brièvement, il permet de réécrire l’histoire à partir d’une modification du passé. L’auteur.e d’une uchronie prend comme point de départ une situation historique existante et en modifie l’issue pour imaginer les différentes conséquences. Le champ des possibilités narratives s’ouvrent alors assez largement. Quelques récits uchroniiques sont devenus célèbres, comme le Maître du Haut-Château de Philip K. Dick ou encore Rêve de fer de Norman Spinrad.
Ce que l’on sait moins est que si les auteur.e.s de science-fiction ont popularisé ce genre, ils ne l’ont pas inventé. En effet, l’uchronie ou plutôt l’histoire contrefactuelle est une discipline des sciences historiques. Au début du XXème siècle, certains historiens, comme Max Weber, démontre l’importance de la démarche contrefactuelle pour mesurer et évaluer, entre autres, la portée d’un événement.
Cet exercice fut lancé, pour la première fois, en 1931 par John Colling Squire dans l’ouvrage If It Had Happened Otherwise dans lequel un certain Winston Churchill imagine la défaite du Général Lee à Gettysburg et ce qu’il serait advenu des Etats-Unis après la victoire des Confédérés sur le Nord. Pour Churchill, cet exercice intellectuel sera, durant sa vie, un moyen de questionner directement les événements dont il fut témoin au XXème siècle. Il rédigea dans son ouvrage sur la Seconde Guerre Mondiale, une réflexion, devenue célèbre : « Que se serait-il passé si dès 1935 la France avait effectivement empêché l’Allemagne de se réarmer, sachant qu’elle avait alors les moyens militaires d’agir ?« .
Depuis, des ouvrages sur la question, sortent assez régulièrement. Notons le »What If?: The World’s Foremost Military Historians Imagine What Might Have Been » sous la direction de Robert Cowley ou en France, paru en 2016, l’ouvrage de Pierre Singaravélou et Quentin Deluermoz, Pour une histoire des possibles. Analyses contrefactuelles et futurs non advenus du passé.
C’est néanmoins un outil à manier avec précaution, les historiens insistent bien sur le fait que l’histoire contrefactuelle n’a rien à voir avec le révisionnisme historique et avec les histoires alternatives imaginées par les auteur.e.s de science-fiction. Elle leur sert à évaluer l’importance historique relative de l’événement, en argumentant à chaque étape de l’évolution de l’histoire. C’est avant tout un travail scientifique.
En bref
→ Le département de justice américain décidera, la semaine prochaine, s’il poursuit Google pour abus de position dominante.
→ SolarPunk : Life in the future beyond the rusted chrome of yestermorrow
→ Nomads of the biodome